jeudi 9 août 2012

L'Artiste


Quand je l'ai aperçu en haut au balcon, j'ai pas pu réprimer un noeud à l'estomac, une angoisse de l'autre très familière :  c'est que sa silhouette, vue d'en bas, résumait ces gens qui me font peur, ces hédonistes, oiseaux de nuit qui rejettent les livres, l'art et la profondeur et qui fuient la vie en mangeant des pilules pour s'allumer sur de la techno. Samuel, c'était un espèce de grand blond, la pire dégaine de mec qui se perd toute la nuit dans des free-party, une casquette vissée sur la tête, il chantait à tue-tête tout ce qui lui traversait le ciboulot, me rappelant non sans frémir les schizos qu'on croise souvent abandonnés à leur intérieur, dans l'extérieur de la rue. 

Je serrais les dents dans l'escalier et respirais un grand coup avant d'ouvrir la porte. Revêtir une combinaison pour l'apparence sociale, c'est douloureux, toujours. J'ai marché jusqu'à la cuisine en essayant de me faire aussi petite qu'une petite souris pour aller saluer mon hôte, Marie-Ève. Elle discutait avec son amie Ina, et Samuel continuait à chanter tout haut. Comme je l'ignorais, par peur et timidité, il s'est d'un coup planté devant moi et m'a tendu la main avec un sourire tellement énorme et des yeux tout chauds, que je suis devenue une microscopique souris, toute rouge et bafouillant mon prénom dans un cocktail linguistique très désordonné. J'étais tellement surprise par ce sourire d'enfant !! Et puis une fois ressaisie, j'ai compris que les amis de Marie-Ève, on pouvait les aimer les yeux fermés. 

Il portait de fringues qui hurlaient la singularité. Sa chemise était tout pleine de trous très ostensibles, mais c'était très difficile de savoir si ils étaient fait exprès par lui, ou si c'était le résultat de l'usure, d'une quelconque bataille avec des chiens ou des barbelés. Elle était déboutonnée à moitié pour laisser entrevoir sur son torse nu un étrange médaillon qui pendouillait au bout d'une cordelette. Son pantalon était long, il le portait bien bas, mais pas autant que ces idiots qui pensent que laisser leur caleçon suggérerer la rondeur de leur fesses à l'air libre est le summum de la coolitude. Il était (mal) taillé dans un velours foncé, très doux et bien épais. Sami disait fièrement qu'il était tombé dessus dans un marché aux puces, et qu'il l'avait pris parce que le canapé de son grand-père était fait avec exactement le même tissu.  Et puis sa casquette, genre rose fushia delavé, avec des inscriptions énigmatiques au blanco dessus. Il la portait de façon très précise, pas trop enfoncée, mais pas simplement posée non plus, de sorte à ce que la visière pointe vers le ciel avec un angle bien étudié. Sur le côté, il a planté une plume, édredon blanc pointé vers le ciel - ou le plafond, selon.

Quand il redescendait de sa tête et de ses chansons pour nous parler, ce qu'il faisait volontiers, il communiquait d'une voix grave, dans un anglais parfait et dans français bien meilleur que mon allemand balbutiant. Un rire rauque et entier éclatait de sa gorge, bien ouvert sur toutes ses dents, et il se renversait sur l'arrière pour mieux rire encore. Mais surtout, il riait avec ses yeux, où se reflétait une douce chaleur dorée, en même temps que sa poitrine rebondissait. Ses yeux étaient aussi capables de devenir très sérieux, il fronçait les sourcils quand il réfléchissait, ça lui donnait une tronche d'enfant.. Attendrissement. Il finissait par plisser les yeux, et sortir des choses bougrement intelligentes, des réflexions bien piquées, des analyses bien précises, et souvent, des drôleries adroites et hilarantes. Qu'est-ce qu'il me mettait à l'aise, que je me sentais bien auprès de celui qui, juste aperçu au balcon, m'avait crispée et renfermée dans ma carapace !!

Samuel, il respirait l'innocence de la création brute, l'intelligence et le refus de la société vendue sur les écrans. Ostensiblement sensible, attentionné, passionné et spontané, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qu'on puisse nommer avec autant de certitude : un artiste. 

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