dimanche 7 janvier 2018

Une mort, et puis l'autre


Le 16 juillet 2017, l'enseignant Bouddhiste Michael stone est décédé. J'avais découvert son enseignement tout juste deux ans auparavant. D’abord par ses podcasts. Dès la première écoute, la limpidité et la justesse de ses mots m’ont frappée droit au myocarde. Puis par ses livres. Des pur jus de sagesse, formulée dans une grande finesse, à la fois accessible et profonde. Sans jamais tomber dans le piège de l’ultra-simplification et du sens commun, il y emploie la poésie pour montrer complexité et les contradictions du monde. De l’inspiration en tube.  Petit à petit, il a pris la place d'une lointaine lanterne qui me donnait le cap.  Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois, lors de ma première retraite de silence, une de ces semaines de pratique qu'il organisait plusieurs fois autour du monde. A 42 ans, sa mort est tombée comme une météorite dévastatrice tomberait sur une civilisation naissante. Il laissait derrière lui une femme enceinte et deux enfants en bas-âge, et une communauté d'élèves anéantie.
Le 29 décembre 2017, ma grand-mère maternelle s'éteignait, après quatre-vingt-quatorze années d'une vie épique et romanesque. Petite, j'aimais me blottir dans ses bras et suçoter la médaille d'émail qu'elle portait, longue et tombante, autour du cou. Je la voyais peu, mais ses cheveux roux toujours impeccables rayonnaient d'un amour sans limites. Pour mes dix ans, je reçus en cadeau d'anniversaire un voyage à Paris. Elle me garda pendant toute une semaine. Je me souviens de sa patience infinie alors que je montais et descendais des dizaines de fois le même escalator, émerveillée d'en voir un spécimen aussi grand, dans une galerie marchande : du jamais vu à Marseille ! Elle avait traversé sa vie au gré de son cœur, déversant l'amour sans compter à ceux qui se trouvaient à ses côtés, bien souvent à ses dépens. Ce même cœur qui l'avait tant aidé à traverser des épreuves d'une dureté insensée. Je l'avais vu partir doucement. Pendant des longs mois à la maison de retraite, son état s’était dégradé, progressivement. Depuis longtemps déjà elle ne me reconnaissait plus, me confondant avec ma sœur, ou ses filles. Au fin-fond de décembre, elle a glissé dans la mort comme on s'enfonce dans un édredon douillet au creux du noir de l'hiver. 
Dans son poème "Clôture", Ida Vitale trouve les justes mots de mon désarroi:
De tous les côtés les frères et sœurs s’en vont : 
Octavio un jour, Tito peu après
et à présent Laura et Amalia.
D’autres ont été effacés par les morts-vivants. 
La frange opaque tremble en s’allongeant
dans une ébauche trouble
et l’hirondelle solitaire passe
et le couvercle du ciel s’est flétri
et moi je fais route 
soudain vers l’étonnement inconcevable.
La mort de Michael m'a bouleversée. Un électrochoc brutal qui m'a secouée de tout mon être. Je traînais un cœur lourd et endeuillé pendant de longs mois. Le monde semblait transpirer de son absence. J’ai enclenché une remise en question brutale, un changement profond dans mon rapport au monde. Son décès fut l'aube d'une véritable renaissance.
La mort de Mémé a glissé sur moi, comme une douce caresse. Un aurevoir ouaté, enveloppé dans la chaleur des cœurs serrés des cousins, oncles et tantes. Leurs larmes s'étalaient sur mes joues presque sèches.
Alors il me faut accueillir ce décalage inavouable. Cette déchirure béante laissée par un inconnu qui contraste honteusement à ce presque rien suscité par la perte d’une grand-mère. Ma morale voudrait tellement le contraire. On aime chaque personne d'une manière unique, en écho à leur unicité. Peut-on mesurer l’amour à l’effet de la perte ??
Le deuil est un désœuvrement face à l’interdépendance inhérente à toute existence. Notre être ne se manifeste que par nos interactions aux autres. Chaque Je est une somme de Nous. Notre personnalité, plutôt qu'être un centre fixe vers lequel les convergent ou divergent les rayons de notre existence, est un réseau de relations, un enchevêtrement dynamique de liens qui nous définissent autant que nous les définissons. Lors d'un deuil, c'est un des nœuds du réseau qui disparaît. La fin d'une relation amoureuse, la perte d'un proche, un ami cher qui part vivre loin de nous, un licenciement, ces évènements déclenchent une recomposition du tissu de liens qui nous compose. Et plus le nœud a de poids, plus la force du lien est grande, plus son influence dans notre vie est profonde, plus il est difficile de retrouver un équilibre. Nous pouvons errer des années avec un tissu troué, avant que l'agencement des autres liens, en perpétuelle évolution, laisse émerger un nouveau maillage. Quand quelqu'un meurt, c'est un bout de nous qui meurt. Et nous devons réinventer qui nous sommes.
La question n'est donc pas "qui suis-je ?", mais plutôt "Qui sommes-nous, ensemble ? Cela sonne-t-il juste, dans le passé, et aujourd’hui ? Où voulons-nous aller demain ? ". Si nous répondons sans y penser chaque jour à cette question, le deuil nous confronte plus intensément à notre précarité existentielle, à la non-finitude de notre être, à notre appartenance impérieuse à l’univers, instable et éternel. Dans un essai sur le deuil, Michael justement nous éclaire :
Even though our sadness seems so personal, the closer we get to it, the more we are able to see in our individual sadness the shared sadness of all life, interconnected and subject to birth, change, loss and death. Nothing ever stays the same: we may feel like our lives are a single story heading towards a conclusion, but our shared reality is a web of uncertain, changeable narratives—no simple three-act structure, not even a set beginning or end. In grief, we feel as though we walk alone. When our personal and particular grief opens a window, even for a moment, onto the universal truth of impermanence, of life and loss, then through our grief, we walk with all the world. 

Son héritage spirituel restera vissé en podcasts sur mes oreilles encore longtemps. Le lendemain de l'enterrement, j’ai changé les boutons du vison de Mémé, et je m’enveloppe dans ce vêtement qui lui était cher, alors que l’hiver qu’elle a quitté continue de traverser l’Europe. La fourrure a retenu son odeur. Recroquevillée dans les replis du manteau, je suis de nouveau la toute petite fille qui se blottissait dans ses bras. 

lundi 20 mars 2017

Du fond des mers



Une nuit, alors que nous naviguions dans le creux de la méditerranée, pris dans l'immensité de la haute mer, une des personnes de quart descendit nous réveiller dans une excitation fébrile.
C'était le beau milieu de la nuit, et je m'étais couchée très tôt, pour m'assurer d'être fraîche a l'heure mon quart, le dernier de la nuit. Lors de ces traversées infinies, je chérissais particulièrement ce moment ou, tout encore éblouis de soleil et encroûtés de sel, j'allais me blottir au fond de la cale arrière pour m'abandonner a des rêveries délicieuses, bercée par le clapot tranquille de l'eau de l'autre cote de la coque. Le sommeil n'était jamais loin, et je goûtais à un repos profond, enveloppée dans le ronronnement du moteur.

Je pensais naturellement qu'était venu mon tour de veiller sur le cap et l'équipage, et me préparais sans hâte à monter à mon poste. En jetant un coup d'œil à l'horloge digitale de la table à cartes, je réalisai qu'il était bien plus tôt que l'heure attendue, et enfilai mon gilet de sauvetage dans un grognement. Qu'est-ce qu'il leur avait pris de me sortir de mon si précieux sommeil ? Aucun signe d'urgence. Alors quoi ? Contrariée, je me hissai, encore engourdie, sur le pont.
La vigueur de la journée, inondée de ce soleil méditerranéen, si cuisant, avait fait place à une nuit immobile et moite. L'air était poisseux, périgueux, une lourde chaleur tombait du ciel, comme de la vapeur d'eau qui se serait trompée de sens. La lune diffusait sa lumière à travers une couche épaisse de brune, une lumière homogène et grisâtre qui se répandait sur l'eau, comme si la mer et le ciel enfin se confondaient.

La mer était d'huile, de cette eau lisse et sans une ride que l'on ne rencontre que lorsque l'air, tout entier englue dans le brouillard, est suspendu à l'éternité. La mer et le ciel se répondaient dans une immobilité imperturbable. Seuls les bruits de notre moteur rappelaient l'écoulement du temps.
Il me suffit de quelques instants de cette scène surréelle pour comprendre que quelque chose de magique se jouait, et je sentis résonner en moi une profonde paix.
Le plancton, avec lequel j'aimais tant à jouer, était particulièrement dense et sensible. A chaque remous d'eau, une multitude d'étincelles marines s'allumait, chaque repli de vague que la proue fendait roulait dans un éclat de lumière fugace. Le bateau laissait derrière lui une traînée fluorescente, un sillage lumineux. Nous avancions à travers cette immobilité en semant des Etoiles dans notre sillage.

Et soudain, émergeant du fonds des eaux, ils apparurent. Un banc de dauphin se mit à jouer à la proue. La mer était si dense et le plancton si sensible que chacun de leurs mouvements s’accompagnait d’un scintillement évanescent. Ils étaient enveloppés dans une robe de lumière, un habit d'étincelles les suivait à mesure qu'ils fendaient l'eau. Et ils en jouaient, sautant, nageant autour de nous. Nous étions bel et bien au milieu d'un banc de dauphin filants. Comme des Etoiles filantes, sauf que c'était des dauphins. Incroyable. Une beauté qu'aucune imagination humaine n'aurait jamais pu anticiper.

J’en restais bouche bée, éblouie, fascinée par ce que la nature nous offrait de plus brut, de plus improbable, déroutée par son son invraisemblable beauté. 

lundi 24 août 2015

Opération MAISON (#3)

Salut les amis !

Ca fait maintenant un peu plus de trois semaines que j'ai emménagé, alors il était temps de vous faire voir les photos ! La dernière fois que je vous ai laissés, on était au milieu des travaux. Et ben autant vous dire que cette époque est bien révolue, mes petits enfants. Maintenant c'est complètement ma maison.

Pour commencer, voici la pièce la plus habitée : la cuisine.

Avant

Après

vendredi 14 août 2015

L'Utopie Parisienne

Sous le bateau vert, les tentes-igloo des sans-pap côtoient dans un paisible mélange de couleurs les transats en bois des bobos-hipsters mojito à la main et paille à la bouche, sur fond de shorts à fleurs et sandalettes de bateaux-mouche. 

lundi 20 juillet 2015

Opération MAISON (#2) - Mieux

Salut tout le monde,

J'imagine que vous êtes tous en train de vous dorer la pilule je ne sais où sur une plage au soleil sanglant, mais voyez-vous, moi, j'ai d'autres priorités.

Depuis mon retour de voyage, je suis toute entière mastic, peinture, carrelage, enduit.. et cartons. Voici donc des nouvelles du front.

Tout d'abord, la cuisine. Il y avait des poutres apparentes et une vieille cuisine très moche. Une fois les poutres repeintes en blanc et la cuisine démontée, c'est fou ce que ça respire !

Avant
Maintenant

La pièce paraît beaucoup plus haute, et j'aime beaucoup l'effet du carrelage de ciment sur le mur du fond. Une fois la cuisine montée ça sera vraiment super joli. Ensuite, il y avait cette histoire de rambarde qui abritait la mezzanine - mais bouffait toute la lumière par la même occasion. A puuu !!


Avant
Maintenant
Mieux non ? C'est bien entendu pas encore fini, on va garder cette base et rajouter des barres en métal pour un effet des plus industriels. Mais au moins, la lumière tombe. Jusqu'en bas. 
Maintenant, passons aux choses sérieuse : la fameuse ouverture qui a tout changé. Comme je vous le disais la dernière fois, on a choisi de casser toute une cloison, en-dessous et au-dessus de la poutre portant la mezzanine, et de reboucher l'ouverture qu'il y avait entre la cuisine et le salon. Voilà ce que ça donne. 

Avant
Maintenant


Alors, mieux ? Si vous êtes pas convaincus, voici dame l'Ouverture sous toutes ses coutures..



Waaahou !!! Non ? Donc l'idée, c'est de vitrer la partie du dessus et de poser une porte coulissante pour le dessous, pour pouvoir garder un deux-pièces mais lumineux et ouvert comme un studio. Ca va claquer !!
Enfin, last but not least, le carrelage dans la salle-de-bains a été posé, c'est une petite merveille :


Avant
Maintenant

Ca claque non ? Bon, y'a encore pas mal de boulot à faire (finition des peintures, pose du sol, pose de la cuisine, d'un lavabo et radiateur dans la salle de bains, des portes coulissantes, etc.. ) Mais ça commence à prendre sérieusement forme ! Je déménage la semaine prochaine, vous allez donc avoir la suite des épisodes très très bientôt !


dimanche 7 juin 2015

Opération MAISON (#1)

Salut les cocos,

Ces dernières années il est apparu que ce blog n'est plus tellement la glorification de mon quotidien d'illuminée, mais plutôt le marque-coup de quelques grandes étapes que l'on franchit un peu malgré soi. 

Et donc au dernières nouvelles, la Maison. Enfin, il s'agit tout juste d'un tout petit appartement de 27,12 mètres carrés au sol, mais entre nous, on conviendra de l'appeler la Maison (et je mettrais bien des majuscules partout si j'en assumais l'audace).

Un tout petit appartement, mais quelle merveille. Tout d'abord la rue. Un petit bijou, tout fleuri et sans voiture. Une impasse bordée de petites maisons, un minuscule coin de calme et de fleurs dans le bouillonnant Paris, le tout datant du début du siècle. Je me souviens l'avoir découverte peu après mon arrivée à Paris en 2011 (c'est à deux pas de chez moi), et m'être exclamée comme à chaque fois que je passe devant un endroit tout mignon "Wahou comment ça serait trop bien d'habiter là, t'imagines ?!".

Autant dire que quand j'ai vu l'annonce sur seloger.com, un matin de grisaille à la Salpêtrière, j'ai bondi sur mon téléphone et harcelé l'agence pour obtenir un rendez-vous tout-de-suite-et-surtout-avant-tout-le-monde-s'i-vous-plaît. 


La voilà, la magnifique Rue
Et ça, c'est le Rosier, gardien de l'entrée à la bâtisse

Mon Haricot

Mon petit hérisson grimpant
haricot poilu
petites mains fourchues
qui se replient comme des fougères

Tu m'es exotique
Extatique

Un extérieur nébuleux
je te tourne en rond
mon Sauvage
Je suis un milieu poreux 
hermétique
En attendant le vaisseau intergalactique
pour aller crever le ciel
dehors
au-dehors du fort intérieur