Une nuit, alors que nous naviguions dans le creux de la méditerranée,
pris dans l'immensité de la haute mer, une des personnes de quart descendit
nous réveiller dans une excitation fébrile.
C'était le beau milieu de la nuit, et je m'étais couchée très
tôt, pour m'assurer d'être fraîche a l'heure mon quart, le dernier de la nuit.
Lors de ces traversées infinies, je chérissais particulièrement ce moment ou,
tout encore éblouis de soleil et encroûtés de sel, j'allais me blottir au fond
de la cale arrière pour m'abandonner a des rêveries délicieuses, bercée par le
clapot tranquille de l'eau de l'autre cote de la coque. Le sommeil n'était
jamais loin, et je goûtais à un repos profond, enveloppée dans le ronronnement
du moteur.
Je pensais naturellement qu'était venu mon tour de veiller
sur le cap et l'équipage, et me préparais sans hâte à monter à mon poste. En
jetant un coup d'œil à l'horloge digitale de la table à cartes, je réalisai
qu'il était bien plus tôt que l'heure attendue, et enfilai mon gilet de
sauvetage dans un grognement. Qu'est-ce qu'il leur avait pris de me sortir de
mon si précieux sommeil ? Aucun signe d'urgence. Alors quoi ? Contrariée, je me
hissai, encore engourdie, sur le pont.
La vigueur de la journée, inondée de ce soleil méditerranéen,
si cuisant, avait fait place à une nuit immobile et moite. L'air était
poisseux, périgueux, une lourde chaleur tombait du ciel, comme de la vapeur
d'eau qui se serait trompée de sens. La lune diffusait sa lumière à travers une
couche épaisse de brune, une lumière homogène et grisâtre qui se répandait sur
l'eau, comme si la mer et le ciel enfin se confondaient.
La mer était d'huile, de cette eau lisse et sans une ride
que l'on ne rencontre que lorsque l'air, tout entier englue dans le brouillard,
est suspendu à l'éternité. La mer et le ciel se répondaient dans une immobilité
imperturbable. Seuls les bruits de notre moteur rappelaient l'écoulement du
temps.
Il me suffit de quelques instants de cette scène surréelle
pour comprendre que quelque chose de magique se jouait, et je sentis résonner
en moi une profonde paix.
Le plancton, avec lequel j'aimais tant à jouer, était particulièrement
dense et sensible. A chaque remous d'eau, une multitude d'étincelles marines
s'allumait, chaque repli de vague que la proue fendait roulait dans un éclat de
lumière fugace. Le bateau laissait derrière lui une traînée fluorescente, un
sillage lumineux. Nous avancions à travers cette immobilité en semant des Etoiles
dans notre sillage.
Et soudain, émergeant du fonds des eaux, ils apparurent. Un
banc de dauphin se mit à jouer à la proue. La mer était si dense et le plancton
si sensible que chacun de leurs mouvements s’accompagnait d’un scintillement évanescent.
Ils étaient enveloppés dans une robe de lumière, un habit d'étincelles les
suivait à mesure qu'ils fendaient l'eau. Et ils en jouaient, sautant, nageant
autour de nous. Nous étions bel et bien au milieu d'un banc de dauphin filants.
Comme des Etoiles filantes, sauf que c'était des dauphins. Incroyable. Une beauté
qu'aucune imagination humaine n'aurait jamais pu anticiper.
J’en restais bouche bée, éblouie, fascinée par ce que la
nature nous offrait de plus brut, de plus improbable, déroutée par son son invraisemblable
beauté.
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