vendredi 29 avril 2011

Comme un poisson dans le mauvais bocal

J'ai décidé de me lancer dans un peu d'écriture. Premier essai, vous en pensez quoi ?

---------

Philippe ne comprend pas trop ce qu'il fait là. Un peu plus tôt, ses amis l'avaient embarqué dans un taxi, sous une pluie torrentielle, escortés par le grand parapluie bleu du portier et de son clin d'oeil plein de malice. 

Sur le chemin, la pluie battait contre la vitre et on distinguait mal le dessin des rues à travers les gouttes. En descendant, ils ont traversé la rue en courant pour arriver dans l'antichambre d'un ascenseur. Les néons bleus éclairaient sa chemise blanche, et l'espace de quelques minutes, il avait éprouvé ce sentiment grisant et dérangeant de briller comme une étoile. Et le voilà maintenant tout en haut d'une tour, dans un bar tamisé de noir aux lumières rouges. Tout autour de lui, des immenses vitres exhibent les tours scintillantes de Manhattan, toutes parées de lumières. Le spectacle est saisissant, fascinant.  

Il ne comprend pas bien ce qu'il fait là, dans ce décor surréel. Ses amis lui remplissent son verre, qu'il tripote machinalement en écoutant la musique automatique qui sort des baffles et fait vibrer le sol. Il force le hochement de sa tête en rythme pour se donner un peu plus de contenance. Palpe la frénésie d'être dans une tour de verre suspendue au dessus du centre du monde. À lui, ça lui donne plutôt le vertige. 

Un peu plus loin il regarde les filles danser, perchées sur des talons plus grandes qu'elles. Tout de même, ces règles d'esthétique, il a du mal à les comprendre. Elles bougent, mues par l'ivresse d'appartenir à ce monde si spécial. 

Mais s'amusent-elles vraiment ? Les plus perspicaces partagent probablement cette pointe de dégoût et de désillusion que Philippe sent grandir au fond de lui. Les autres se regardent danser, joue un rôle, pour que tout soit bien conforme au film qui se déroule sous ses yeux. Pour conserver la dose d'irréel et de magique qu'il faut pour un bon film. 

Mais comme au cinéma, il fait noir et la musique est trop forte pour pouvoir discuter. Alors comme au cinéma, il s'assoit et regarde. Tout autour lui semble si loin, si déconnecté du réel. ll y a pourtant cette fille un peu plus loin, qui semble aussi perdue que lui. Assise sur le rebord d'un canapé, ses yeux se perdent dans la vue. Elle tourne le dos à la scène, préférant de loin la poésie des tours qui se dressent dans l'orage. Une serveuse en bikini rayé la rappelle vite à l'ordre. Elle s'excuse d'un sourire effacé et se place dans le bon sens pour contempler les autres jeunes qui frétillent. Elle entame une conversation avec un garçon qui se trouve là, mais son sourire et son regard sont absents, elle pense à autre chose, digérant sûrement une des pensées perdues aux rives des gratte-ciels scintillant dans la pluie. 

Philippe l'observe. Il lui semble déceler que comme lui, elle se sent étrangère à ces paillettes, à ce feu d'artifice qui masque un malaise profond, étrange et sans fond. Il hésite.  Les rêves n'existent pas, pense-t-il, il faut agir si on veut vivre. Soudain, il finit son verre d'un trait, respire un grand coup et se dirige vers elle à travers la foule des corps qui dansent. Il rentrera avec elle, décide-t-il. En métro. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ayez pas peur, ça mord pas !