dimanche 7 novembre 2010

A la frontière américaine

Il est 8h00, le bus s'arrête dans un ronronnement sourd. Enfarinés, les paupières encore engluées par la nuit que la pluie s'évertue à chasser, on descend un à un à tâtons dans le brouillard, pour s'engouffrer dans le poste de frontière quelques pas plus loin.

"Next please !" lance une douanière aux cheveux tirés et sourire colgate. Au poste d'à côté, un gros monsieur douanier rit très fort, et blague en Français avec les québécois qui présentent leur passeport. De bon matin de bonne humeur, le type.

Une vieille dame avance un sourire édenté vers la représentante autoritaire. C'en est une de ceux qui ont l'allure et l'attitude de ceux qui n'ont rien ou presque, ceux qui ne sont pas nés au bon endroit, ceux que la chance a fui. Une de ceux qui se contentent d'offrir un sourire béat au monde en traînant leurs savates trouées à travers la vie.

Elle fouille à travers ses haillons et en sort son passeport, qu'elle présente avec insistance à la douanière. Celle-ci se surprend à esquisser un sourire où en cherchant un peu, on pourrait trouver un peu de tendresse. Mais elle se reprend bien vite.  La dame ne parle ni anglais, ni français, mais son passeport est frappé de la feuille d'érable si familière. Elle ne semble pas comprendre ce que la douanière lui veut, avec ce gros machin vert qui brille, mais elle doit se dire que les blancs ont toujours raison. Elle finit par comprendre qu'il faut y poser la main pour une raison obscure.  Alors elle s'applique à poser sa main usée, à plat, en haut de l'appareil ultra moderne. Malheureusement, c'est pas tout à fait comme ça qu'on fait pour récupérer les empreintes digitales. La douanière semble paniquée, ce fossé culturel lui donne le vertige. On lui a pas appris à réagir face à un sourire, à la douanière.

Alors le douanier sympathique d'à côté a passe la barrière et se dirige vers la vieille dame, de son pas lourdaud d'homme qui aime bien manger. Avec ses grosses mains pataudes, il attrape celles ridées de l'inconnue au sourire édenté  etles lui pose doucement sur le gadget vert fluo qui trône devant elle.  Les autres voyageurs regardent la scène d'un air curieux et attendri à travers leurs yeux endormis.

La vieille semble toute intimidée par cette attention qu'on lui porte. Elle n'a pas l'habitude qu'on s'occupe d'elle, elle n'a pas l'habitude qu'on la prenne par la main. Elle ne dit rien, se contentant de rire nerveusement pour montrer qu'elle aussi, elle trouve la situation bien cocasse. Émue de cette tendresse inattendue, elle qui n'a rien à offrir à part un grand sourire édenté, sourit plus intensément encore en traînant ses savates usées vers la sortie.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle belle histoire ... C'est cette vielle dame avec laquelle tu as parlé après? Cat

Nina a dit…

Bah non, elle parlait ni anglais ni français..

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Ayez pas peur, ça mord pas !